Focus Karayib : Gage

Focus Karayib parle des chansons des Caraïbes que j’aime. Ce ne sont pas forcément des nouveautés, mais j’en écoute quand j’écris mes fictions caribéennes et j’aime fangirler, alors pourquoi ne pas associer les deux ?

Aujourd’hui, je ne parlerai pas d’une chanson mais d’un artiste : Gage.

Je mets Gage dans mon top 3 des artistes francophones. Personne dans mon entourage ne l’écoute. Ce n’est pas grave. Ils ont au moins la décence de ne pas shamer ma fangirlitude. Comme pour la K-Pop, je défends ce que j’aime et j’assume. Pour moi, la K-Pop, c’est un dépaysement tout en restant dans ma culture soul/R&B/hip-Pop. Pour moi, la musique de Gage, c’est faire le lien entre mes identités en tant qu’individu, en tant que femme noire, en tant qu’Afroantillaise, en tant que Française, en tant que citoyenne du monde. J’ai passé ma vingtaine à jongler, à chercher l’équilibre. J’en ai souffert, j’ai failli y laisser ma vie… Avec le recul, je me rends compte que la musique de Gage était présente à chaque changement, chaque prise de conscience, chaque pas pour aller de l’avant.


(credit photo: Insta de Gage)

Je n’ai qu’un album de lui (pour l’instant), je ne connais pas plus de 3 chansons par coeur (pour l’instant). Il y a deux chansons de lui que je n’aime toujours pas et que je suis sûre que je n’arriverai jamais #sorrynotsorry. J’ai commencé à suivre son actu que cet été 2017… So, non, je ne suis pas une fan hardcore.

En fait, la musique de Gage est comme avoir un ami discret qu’on ne contacte que sporadiquement sur un coup de tête. Ensemble, vous faites la mise à jour de vos vies. Cet ami exprime précisément ce que vous ressentez, met des mots sur vos joies et vos peines, surtout sur vos peines. Parfois, vous le rejetez parce qu’il vous dit des vérités que vous n’êtes pas encore prêt à entendre. Parfois, vous êtes en fusion totale. Cela peut durer quelques mois voire quelques semaines, voire l’espace d’une chanson. Le temps nécessaire pour faire le bilan avant de repartir chacun de son côté et affronter la vie. C’est une relation sans engagement, sans planification, mais on sait que l’autre sera toujours en rendez-vous en cas de besoin. Vous voyez ce que je veux dire ? Non ? Okay, faisons un petit voyage dans le temps.

Nous sommes en 2005. Je suis à l’aube des 20 ans. Je quitte mon île définitivement et me réinstalle en France hexagonale. Je me rends compte que la vie d’étudiante n’est pas aussi cool que je me l’imaginais en regardant les séries jeunesse US. Je suis à la recherche de repères, je cherche qui je suis. Je n’ai plus d’amis, je galère à m’intégrer dans ma L3 car je dois faire un apprentissage express de ce qu’est être une minorité racisée dans le milieu universitaire français.

2005, c’est l’année où la France découvre Gage avec “Trop Fresh”. Je déteste la chanson. Il m’a fallu près de 10 ans pour réussir à l’écouter sans lever les yeux au ciel. “Pense à Moi” sort ensuite. Les sonorités caribéennes me séduisent davantage, mais comme je suis en pleine période de rejet sur tout ce qui me rappelle mon île, c’est une chanson que j’écoute sans cesse mais en ne lui trouvant QUE des aspects négatifs. Je finis par acheter l’album “Soul Rebel” pour cette raison. Oui, en me disant que je suis sûre de ne pas aimer. Moi pendant la 1ère écoute (et je n’ai même pas skippé “Trop Fresh”).

Bref, je mets quand même l’album dans mon mp3 (à l’ancienne, t’as vu ?). La voix de Gage m’accompagne pendant mes 4h de trajet quotidien. Avec le recul, je pense que “Soul Rebel” me permettait, sans me l’avouer, de satisfaire un besoin de garder un lien avec cette identité antillaise avec laquelle je luttais. Ces titres, chantés par Gage, rendait cette connexion safe. Gage est d’origine antillaise mais pas de mon île. Il est francophone mais pas Français. Je peux donc m’identifier tout en gardant une distance.

A part “Trop Fresh” et “Pense à Moi”, il n’y a qu’une autre chanson que j’ai continué à skipper après la première écoute : “Viens Me Voir”. Non pas par agacement cette fois-ci, mais parce que c’est celle dont les paroles me touchaient le plus. Je crois que ce n’est qu’un an après avoir acheté l’album que j’ai réussi à réécouter la chanson en entier. Et il a dû me falloir encore six mois pour être capable de supporter la version acoustique dont les premières notes suffisaient à me faire pleurer à une époque.

Nous voici en 2008. J’ai fini mon premier cursus universitaire. Je n’ai pas la satisfaction que j’espérais. Je cherche la passion, l’enthousiasme dans ce que je fais. J’ai délaissé la soul, le R&B et le hip-hop US pour me consacrer exclusivement à la K-Pop. Le coréen me permet de me lancer un nouveau défi sans aucune pression de résultat. Du coup, quand Gage sort “Changer Le Monde”, j’écoute vite fait les singles promotionnels mais je ne veux pas de connexion à ce qu’il propose. Je reste focalisée sur Taeyang des BIGBANG . Je découvre Yoon Mirae et toute la richesse de la scène musicale coréenne.

Le temps passe. Mes 25 ans aussi. 2014. Je traverse de nouveau une période de doutes parce que je finis mon cursus universitaire de coréen et qu’il faut bien trouver un emploi, avoir une indépendance financière et toussa toussa. Un jour, je tombe sur “Soul Rebel” en triant mes CDs. Je décide d’aller voir ce que fait Gage. “Hello” est en ligne. C’est la première fois que je l’entends chanter en anglais, je suis neutre. ou plutôt je suis indécise. La chanson est tellement optimiste, entraînante, mais je suis dans une vibe tellement négative que je ne supporte pas. “Soul R. Evolution” est disponible. J’écoute “Si Tu N’es Plus Là” et j’ai un choc. “Gage fait du zouk? Je croyais qu’il faisait de la soul?”. Je HAIS. Je me rends compte d’autant plus aujourd’hui à quel point ma réflexion est stupide puisqu’il est tout à fait légitime pour faire du zouk ou du kompa. Encore une fois, avec le recul, je pense que c’est parce que la chanson me forçait à me connecter à une antillanité que je refusais catégoriquement. Je teste “Si On Partait”. Son trop optimiste pour moi. Je me dis qu’il est temps de classer Gage dans ma boîte à souvenirs avec les artistes de mon adolescence/début vie adulte, genre les boys band et ces one-hit wonder de la fin des années 90.

Automne 2015, j’affronte mon plus grand struggle à ce jour. Et là, je me dis “non, quand même. Tu ne peux pas partir comme ça. Tu n’as encore rien fait de ta vie”. Pendant ma période d’introspection, je me remets à écouter du zouk à la radio. “Parle-moi” passe plusieurs fois par jour. Bon, je ne vous refais pas l’histoire, je l’ai déjà écrite ici. Quand je suis sûre que la voix masculine est bien celle de Gage, je me dis “tu dois le voir en concert un jour”. Et là, je suis quand même dans un dilemme parce que :

1) ce qu’il interprète sur scène n’est pas du tout les chansons pour lesquelles je le connais. “Trop Fresh” et “Pense à Moi” en live ne m’intéressent pas. Je n’ai pas envie de faire des efforts pour écouter plus que ses singles promo qui me laissent neutres (oui, j’en étais revenue de ma haine irraisonnée #progrès), donc est-ce que ça vaut le coup que je paye pour aller le voir chanter des titres qui ne me donnent aucune émotion ?

2) je ne suis plus à l’âge où je reste debout des heures sans en ressentir les conséquences le lendemain. Je n’aime pas être entourée de gens dans un espace réduit, est-ce que ça vaut le coup que je paye pour aller le voir chanter des titres qui ne me donnent aucune émotion et dans des conditions qui me mettent mal physiquement ?

C’est pour cette raison que je passe l’année 2016 à cliquer sur les annonces de concert dans ma timeline Twitter, mais je ne franchis jamais le pas de prendre un billet. Pourtant, je garde quand même Gage en tête parce que je reprends l’écriture. Et son image s’impose à moi pour un personnage clé d’une intrigue. J’essaye de me mettre à jour sur son actu des 5 dernières années. Il y a trrrrrès peu d’interviews (écrite et vidéo) disponibles et je me rends compte que je ne connaissais pas du tout sa voix parlée. De ce que je comprends, sa vie n’a pas été un long fleuve tranquille sur le plan professionnel, personnel. Vous me direz, ça ne l’est jamais pour personne, mais voir quelqu’un continuer à poursuivre son rêve, envers et contre tout, c’est beau.

2017 est là. Je constate que j’ai fait pas mal de chemin pour (re)trouver ce qui me rend heureuse. Ma première fiction a été publiée. J’ai trouvé un travail. Je peux enfin envisager l’avenir. Je veux continuer à sortir de ma zone de confort. Objectif de l’année : voir Gage en concert. Oui, j’ai réglé mon dilemme. J’aime suffisamment sa voix pour accepter toutes les chansons qu’il chantera et de l’écouter debout avec un tas de gens qui m’entourent. Il me faut 9 mois pour me préparer psychologiquement à y aller seule, vu que personne n’aime Gage dans mon entourage, comme je l’ai dit au début. On annonce un concert au Bizz’art pour octobre. Quand je décide enfin de prendre ma place (par internet), c’est sold out.

Mi-octobre, je vois passer l’annonce pour le concert à l’Antenne. C’est la mention “piano-voix” qui finit de me convaincre que cette fois-ci, ce sera la bonne. Toutes les conditions sont réunies pour que je puisse y aller. C’est un soir de vacances, c’est une petite salle et c’est acoustique. Pour la peine, je prends un billet pour les deux sessions.

Au final, j’ai une copine avec moi à chaque session. Les voies du Seigneur sont impénétrables. J’ai déjà fait un recap de la soirée en réactions gif sur mon Twitter. C’est à dérouleyyy ici. Mais sinon, le meilleur moment a bien sûr été quand j’ai parlé à Gage.

Comme il a accordé du temps aux spectateurs restés après le concert, j’ai pu le voir hors scène. Je comptais juste lui dire merci, prendre une photo et partir. Mon coeur a dit “are you kidding?.”

Gage me dit bonsoir, me fait la bise. Tout se bouscule dans ma tête. J’ai à peine le temps de dire “merci” avant de commencer à pleurer. Je n’arrive plus à parler. Je suppose que cela a dû le surprendre parce que, franchement, le concert était chill de chez chill. Tout le monde était détendu. Il y avait une bonne énergie. Les fans avec qui j’attendais étaient tranquilles, respectueuses. Je le souligne parce qu’après mes années dans les fandoms de K-Pop, j’apprécie d’autant plus quand je suis face à des fans hardcore qui connaissent leurs limites et sont dans le partage. Bref. Le temps que je comprenne moi-même que je suis en larmes (je ne pleure quasiment jamais), il me donne un hug.

Il faut savoir que j’ai beaucoup de mal avec le contact physique, même avec ma famille. Je ne vais pas mentir, j’ai dû stopper un mouvement de recul. Lol, mon cerveau, en alerte suprême, se rend compte que c’est Gage, que c’est une occasion qui ne se représentera pas. En même temps, j’ai trop la honte parce que je me dis “chaque seconde compte, tu es en train de les gaspiller. Parle, dis quelque chose”. Quand Gage s’est écarté, je me ressaisis et j’ai juste le temps de dire “y’a 2 ans, j’ai failli mourir et je m’étais jurée de te voir en concert si je m’en sors” avant d’avoir de nouveau la voix coupée par l’émotion. Il me fait un autre hug, me remercie. Je lui dis que ses chansons m’ont beaucoup aidée dans ma vie. Je ne sais pas s’il l’a entendu parce que je suis toujours au bord des larmes, mais il continue de me remercier. Ayé, la grosse émotion est passée. Je lui demande pour faire un selfie. J’ai les yeux rouges sur la photo à cause des larmes, c’est pas bien cadré. Il propose que quelqu’un d’autre nous la prenne, je dis non. Mon but n’est pas d’avoir ze best photo. Je veux juste que ce soit mon moment de A à Z et que je sois active pas spectatrice. Je le remercie une nouvelle fois et je rentre chez moi.

J’ai revu le concert sur youtube. On me voit bien en train de sourire, de chanter… Je prends vraiment conscience du chemin parcouru depuis deux ans. Ce concert, remercier Gage directement (comme j’aurais voulu le faire avec Gilles Floro), écrire ce billet m’a permis de faire le point.

C’est ça, la beauté de la musique. Une personne qu’on ne connaît pas crée des sons qui, ordonnés dans un sens, peuvent déclencher des émotions chez vous, prennent une signification par rapport à votre vie. La tracklist de ce concert fait la connexion entre mon passé, mon présent et ce que j’espère être mon avenir.

Mon passé parce que les old hits qu’il a proposés sont ceux que je ne supportais pas à une époque. Pause. Il m’a quand même fait chanter “Trop Fresh”… TROIS FOIS. Exploit. Et je n’aime pas cette chanson, je n’y peux rien.

Mon présent parce qu’il a chanté du Sade. Sade est ma goddess. Sa discographie est mon rituel dominical depuis 2 ans. C’était mon seul lien avec la soul occidentale pendant ma période K-Pop. Le fait qu’il chante “Love is Stronger Than Pride” était la cerise sur le gâteau pour moi. En plus, il a fait une majorité de titres aux sonorités caribéennes. J’ai eu les larmes aux yeux pour “Je T’aime Quand Même” (session 1). Son interprétation était parfaite. En écoutant “Viens Danser” et “Si Tu N’es Plus Là” avec ce nouvel arrangement, j’ai eu la confirmation que j’étais complètement en phase avec mon antillanité désormais.

Mon avenir parce que les extraits de son mini-album m’ont convaincue sans hésitation. J’avais déjà eu un bon feeling pour “Rien N’arrive Sans Rien”, mais “Le Ciel est la limite” ?

J’aurais tellement de questions à lui poser sur la façon dont il se voit en tant qu’individu, en tant qu’artiste, comment il voit son évolution avec toutes ses influences. Je suis sûre que la discussion serait passionnante…

La musique de Gage a toujours trouvé une façon de s’immiscer dans ma vie quand ça n’allait pas. Elle a toujours été là, en background. Elle m’a mise en colère, m’a blessée, m’a fait souffrir, m’a fait pleurer. Quand je l’ai écoutée ce 3 novembre 2017, elle m’a apaisée, m’a fait sourire, m’a donné envie de danser. C’était la première fois. Et comme j’ai enfin trouvé une énergie positive, je suis sûre que ce ne sera pas la dernière fois.

4 responses to “Focus Karayib : Gage”

  1. […] d’amour avec Gage a repris. #JUDGEME Il est trop beau en vrai et il est trop adorable. Son Focus Karayib m’a permis de finir mon introspection. J’ai aussi vu Jacky Ido en vrai parce […]

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  2. […] Je vais essayer de vous épargner un trop long http://www.mylife.com, mais je ne garantis rien. Contrairement à l’amour-rejet que j’ai longtemps eu pour la musique de Gage, j’ai adhéré immédiatement à la musique d’Arnaud Dolmen. Prêt.e pour un nouveau […]

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  3. […] final, comme avec Gage, cette trilogie Exotysme me fait revisiter mon propre cheminement sur ces deux dernières […]

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  4. […] chanson de Stony et Gage que j’ai découverte en novembre 2015. En novembre 2017, je publie mon sixième Focus Karayib et il est consacré à Gage. Nous voici en novembre 2018, vous voyez le schéma qui se reproduit ? C’est donc […]

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