Après ma première analyse comparative entre le Zouk et la K-Pop que vous pouvez retrouver dans le premier hors-série de Karukerament, je vous propose aujourd’hui un K focus+ c’est-à-dire Karayib et Korea.
Je ne peux pas dire que je suis fan d’Admiral T, mais ses premiers hits dabcehall restent des incontournables de mon adolescence. Même après avoir quitté la Guadeloupe, il fait partie des rares artistes caribéens dont je connaissais l’actu sans avoir besoin de faire de recherches particulières. Maintenant que je suis d’un peu plus près les sorties musicales, j’ai tout de suite été intriguée quand j’ai entendu que son prochain album s’intitulerait “Caribbean Monster”.
Pourquoi ? Parce qu’il fait écho au premier single de rap coréen dont j’ai suivi la sortie : “Monster” de Drunken Tiger* en 2009.
(C’est la version sous-titrée en anglais.)
Alors oui, le “Caribbean Monster” est plus soca que dancehall et “Monster” est rap. Mais cette différence de genre musical n’empêche pas de faire quelques parallèles.
Une métaphore : le monstre
Première comparaison “évidente” : la métaphore du monstre que les deux artistes utilisent pour se désigner. Il ne s’agit pas d’apparence ou de comportement violent. Tous les deux incarnent le monstre comme figure s’écartant volontairement du carcan imposé par la société. Ce monstre, c’est une énergie à l’état pur, une énergie créative, une énergie libératrice. Pour moi, ce monstre se manifeste du détail dans leur façon de moduler leur voix jusqu’à la symbolique d’être hors-norme artistiquement.
Une identité : la promotion de sa culture
Ce monstre est ancré dans une culture. Dans les paroles de “Caribbean Monster” que j’arrive à comprendre, j’entends une célébration de la Caraïbe. Le “wave your flag” (agite ton drapeau) est un gimmick dans la dancehall et dans la soca, mais je trouve qu’il prend un sens particulier pour les Guadeloupéens et les Martiniquais alors que nos drapeaux régionaux font encore débat. Si on parle du concept de l’album même, c’est un florilège de featurings. Admiral T nous présente sa vision de la musique caribéenne en nous promenant sur une scène musicale anglo-franco-créolophone. Une Dasha, une Princess Lover ou une Stony coexistent dans le même espace qu’un Sizzla, qu’un Saïk ou un Krys.
Dans les paroles de “Monster”, Drunken Tiger fait un bref couplet avec des rimes en utilisant le quotidien culinaire sud-coréen. C’est une approche d’écriture ordinaire pour les Coréens. Ici, il compare sa rage créatrice au piment utilisé pour relever des plats basiques. En citant les tteebeokkis, les ramyeons, il fait appel à des références que tout Coréen, peu importe le niveau social, comprend. Et avec la Hallyu, la Vague culturelle Coréenne, une personne non-Coréenne avec une connaissance limitée du pays et de son histoire peut quand même comprendre.
Et c’est vraiment un choix pensé parce qu’il existe une version anglaise de ce titre où Drunken Tiger invite des artistes représentant sa vision du hip-hop des années 90 à nos jours. A travers son épouse Yoon Mirae et lui, se forme un lien entre Corée du Sud, la East Coast avec le légendaire Rakim, la West Coast avec Rakka de Dilated Peoples, les autres pays d’Asie avec le rappeur US d’origine philippine Roscoe Umali.
Un format : le double album
Admiral T a dévoilé l’album “Caribbean Monster” en même temps que l’album “Mozaïka” qui fait la fusion entre notre héritage musical du passé et notre héritage musical en cours de construction. Le public peut donc voir un Admiral T à double facette qui transcende le temps et les générations. Il rend hommage à la tradition avec des collaborations parlant aux générations précédentes et aux générations à venir.
C’était également le cas avec Drunken Tiger. “Monster” est le titre promotionnel du double album Feel gHood Muzik. Sur l’album Feel Good, l’ambiance est plus légère, l’amour y est rappé en long et en large. Sachant que Drunken Tiger a bâti sa réputation en critiquant le système, se présenter avec une image plus douce permettait justement d’aller contre l’image négative qu’il avait (il a été blacklisté quelques années après une condamnation pour consommation d’amphétamines). Sur l’album Hood, Drunken Tiger propose des titres plus en accord avec le hip-hop hardcore qu’il avait défendu jusque là.
Et après ?
Malgré les 10 ans de décalage, une position géographique et des cultures différentes, ces deux artistes ont offert leur interprétation artistique de “monstre”.
Un monstre incarnant la liberté au sein d’un système.
Un monstre s’inscrivant dans une culture.
Un monstre à la croisée d’un passé et d’un futur.
En 2009, “Monster” marquait la fin d’un chapitre pour Drunken Tiger. Il a quitté son label pour en fonder un autre. Son style musical est devenu plus mélodieux, plus expérimental. En 2018, a été dévoilé l’album “Rebirth”, la renaissance.
En 2019, on ne peut pas encore prédire ce que “Caribbean Monster” représentera dans la carrière d’Admiral T, mais cet album s’annonce comme un tournant dans sa direction musicale et artistique… Affaire à suivre.
* A la base, Drunken Tiger était un collectif mené par Tiger JK. Depuis 2005, il garde l’utilisation du nom du collectif pour des projets bien précis. Dans cet article, j’utilise Drunken Tiger par souci de cohérence même si je parle de Tiger JK.