Publié en 2016, “Peaux échappées” est le premier roman de Cindy-Marie Nelly et ma lecture de février mai.
dixit le site officiel.
Saga, Caraïbes, destins de femmes… Tous les ingrédients étaient donc réunis pour que j’aime… Et, comme d’habitude, l’enthousiasme ressenti à la fin de la lecture était toujours présent mais pas pour les mêmes raisons qu’au début. Je vous explique.
Telle une toile d’araignée, l’intrigue se développe dans plusieurs directions tout en gardant des points de connexion. Chaque chapitre est le présent des héroïnes et devient le passé ou le futur des autres… C’est peut-être ce qui a été le seul obstacle à ma lecture. Les intrigues de Rose, Yolande, Hélène, Line et Sarah sont précises, détaillées et ont leur propre timeline au point où je me suis un peu perdue parfois dans la généalogie entre les 2ème et 3ème générations.
Vu la richesse du développement de chaque personnage, c’est étonnant que le roman soit aussi court. Pas de scène filler ou superflue, que des scènes nécessaires pour comprendre le pourquoi du comment des choix de ces femmes qui se pensent maudites en amour. Moi, ce qui me touche avant tout en littérature, ce sont les personnages. Quand tu aimes un personnage, tu veux tout savoir de lui. “Peaux échappées” réussit à le faire avec 5 personnages différents.
J’ai quand même une réserve envers Sarah. Personnellement, j’ai trouvé que son intrigue était la moins épique alors qu’elle était la plus fancy #unpopularopinion (j’en suis sûre). Peut-être est-ce parce qu’il s’agit de la plus clichée d’après les codes de la romance contemporaine. Une description physique particulière spoiler alert m’a rendu la chute prévisible. Jusqu’à la dernière page, j’ai espéré m’être trompée… Bon, en soi, je comprends la beauté du full circle of life. Et en vérité, je suis fan du cliché de “tout était déjà écrit dans les étoiles”… et l’auteure ne s’est jamais autorisée de la fantaisie. Tout était logique, mais dans le cas de Sarah, cela en finissait par être conventionnel pour moi alors que les femmes des générations précédentes ont mené des vies intenses défiant les époques où elles vivaient. Son histoire en stand-alone aurait certainement capté plus mon attention, son existence de femme noire dans la société actuelle, loin de l’île de sa mère, m’aurait plus fait tilt et j’aurais mieux compris ses questionnements dans ses relations amoureuses.
J’évoque quand même le colorisme. L’auteure a pris le contre-pied de la vision antillaise où avoir la peau claire est une bénédiction. Pour les personnages féminins, ce serait le point de départ de leur malédiction… J’utilise le conditionnel parce que je ne suis pas complètement convaincue que le déroulement tel quel des intrigues illustre cette idée. Peut-être est-ce l’influence de l’imaginaire anglophone qui compose la majorité de mes références de représentation quand on parle société esclavagiste. Ces représentations sont avec des personnages à la peau foncée. Il n’y a qu’avec le téléfilm “Queen” et la série récente “Underground” que j’ai des références où l’ambivalence (bénédiction vs. malédiction) d’avoir la peau claire est montrée. A deux ou trois scènes près, je n’ai pas compris en quoi la couleur claire des héroïnes de “Peaux échappées” avait un impact sur leur vie. Et même le fait d’avoir été malheureuses en amour… A part une ancêtre qui a voyagé et a un style de vie différent que celui que sa couleur de peau lui prédestinait, avoir la peau foncée aurait-il empêché à ces femmes de vivre ce qu’elles ont vécu ? Et je ne parle pas de Sarah qui est un exemple contemporain. Je parle de ses aïeules dans leur dimension de femmes au destin pas si ordinaire que ça.
Peut-être aussi que j’ai cette lecture aujourd’hui et que mes expériences de la vie changeront ma vision dans quelques années. D’une façon générale, j’avoue que le roman m’a laissée songeuse sur l’identité caribéenne francophone du XXIe siècle. La place des femmes, la place des hommes dans nos représentations. Je suis arrivée à un stade où je deviens beaucoup plus exigeante (pas nécessairement sélective mais exigeante) dans le divertissement. Je veux être divertie aussi bien avec de la comédie romantique, que de la science-fiction, de l’horreur, mais avec des personnages caribéens. Le côté réaliste ne passe-t-il que par l’évocation de l’esclavage ? Jusqu’à cette année, mon interprétation de la littérature francophone caribéenne était toujours avec une approche “il y a ce fardeau, cette quête d’identité qui ne doit se voir qu’à travers le poids de l’esclavage”. J’avais le sentiment que cette littérature recommandée était toujours du point de vue “voilà d’où vient le problème” et qu’elle ne m’offrait pas de perspectives sur “voilà comment on peut avancer malgré tout, voilà la flamboyance que nous sommes”. Et c’est là que j’ai enfin compris où “Peaux échappées” trouvait sa place dans ma vie de lectrice et pourquoi l’intrigue de Sarah ne m’intéressait pas en tant que personnage dans cette histoire. Les vies de Rose, Yolande, Hélène, ce sont des exemples de cette flamboyance face à l’adversité. Line fait partie d’une génération en vie dont on ne parle pas, qui est peu représentée autrement que “la mère qui se sacrifie pour ses enfants”. Et le fait que leurs histoires soient réunies dans le même roman ouvre la porte à tout un univers historique peu évoqué de cette façon et encore moins du point de vue des femmes caribéennes francophones.
“Peaux échappées” entre dans ma catégorie “so-good-that-it-should-be-on-my-screen”, donc c’est clairement une réussite pour moi. Si adaptation visuelle il devrait y avoir, il y aurait peu de remaniements à faire tellement la structure est claire, logique. A lire, et auteure à suivre !
One response to ““Peaux échappées” ou l’amour conditionné par le passé”
[…] Célébration de l’abolition de l’esclavage transatlantique à travers des chansons qui racontent l’histoire des Afrodescendants américains et caribéens. Je n’ai pas pu m’empêcher de glisser la review du film “Get Out” et du roman Peaux échappées. […]
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