J’ai un peu perdu le fil de mon planning (un film par mois), mais voici la critique d’un film récemment sortie en salles : Moonlight.
Il m’a fallu plus de 24 heures pour réussir à verbaliser mes émotions tellement le film m’a plongé dans un océan d’émotions. Si je devais résumer Moonlight en un gif…
Avant toute chose, soyons clairs. SPOILER SPOILER SPOILERRRRRRRRRRRR ALERT !
Le résumé du Wiki français ne rend pas du tout justice à la beauté de Moonlight . Il ne s’agit pas d’un film à rebondissements, ni sur la dureté de la vie dans les quartiers difficiles de Miami. Il ne s’agit pas non plus d’un parcours initiatique typique “coming-of-age” avec des moments grandioses où le héros se révèle être un individu exceptionnel. C’est l’histoire d’un enfant ordinaire dans un environnement hostile mais qui lui est ordinaire. Il s’agit d’une tranche de la vie de Chiron à trois âges différents. Enfant, adolescent, adulte, il apparaît à chaque fois dans un quotidien rôdé, dans une routine où il a du mal à trouver sa voix/voie intérieure. C’est du quitte ou double. Pour moi, c’était double et j’en aurais repris une part.
La cinématographie est magnifique. Les acteurs font d’autant plus réels que la caméra capte chaque micro-expression, chaque millimètre du visage, chaque défaut dermatologique. Mention spéciale pour le soin apporté aux sons. De l’océan au briquet qu’on allume en passant par le halètement lors d’une course effrénée, le bruit des coups, même le silence, tout est fait pour être prisonnier de l’image. La réalisation a ce côté “overwhelming” (à défaut de trouver un mot français qui correspond). La caméra se substitue régulièrement au regard du personnage dont on prend le point de vue. C’est limite oppressant mais en même temps captivant. Cela bouscule le spectateur, cela l’oblige à voir l’émotion en face sans aucune distraction. J’en discutais avec @Emeutes_ameres sur le chemin du retour. J’étais sûre d’avoir déjà vu cette technique de réalisation, mais je n’arrivais pas à me rappeler où. J’ai eu l’illumination ce matin. Cette façon d’isoler des parties du corps en gros plan, de jouer sur les silences, de mettre en scène des tranches de vie, cela m’a rappelé des k-dramas filmés par An Pan Suk (Heard It Through The Grapevine, Secret Love Affair et A Wife’s Credential, entre autres). Mais Barry Jenkins utilise cette technique avec plus de légèreté. Aussi sombre qu’est la réalité qu’il décrit, chaque seconde, même nocturne, reste lumineuse.
Si je devais résumer en deux mots en français, j’avoue que je ne saurais pas quoi dire alors permettez-moi de recourir à l’anglais (encore une fois) : longing et blackness.
Longing comme le besoin des autres pour se sentir vivant
Personnellement, je trouve réducteur de ramener l’histoire à “la prise de conscience qu’un gamin afro-américain fait de son homosexualité”. Il n’y a aucune dramatisation autour de l’homosexualité de Chiron. D’ailleurs, Juan (Mahershala Ali) met les choses au clair dans la première partie du film. Avant toute chose, Chiron est un être humain et il doit décider de l’être humain qu’il veut devenir. Qu’il soit homosexuel passe au second plan tant qu’il n’arrive pas à être fier de lui, à se convaincre qu’il mérite d’être aimé. C’est en ce sens que son personnage est universel dans sa quête pour répondre à la question “qui suis-je?”. L’amour d’une mère, l’amour d’un père, l’amour de soi, l’amour de l’autre… Les occasions d’aimer sont partout autour de lui. Pourtant, aucune n’arrive à se concrétiser durablement pour qu’il soit en paix avec le monde extérieur. Alors il continue d’errer dans sa propre existence, à se perdre, sans trouver à quoi ni à qui s’accrocher.
Ce désir d’être aimé et d’aimer est ressenti par chaque personnage mais différemment. Chacun l’exprime à sa façon. D’où l’ambiguïté du personnage de Kevin. Le meilleur ami…? Toujours en discussion avec @Emeutes_ameres sur le chemin du retour. Elle n’était pas fan de Kevin. Moi non plus. Mais pas pour les mêmes raisons. Le Bisounours fleur bleue qui est en moi aurait voulu que Chiron s’assume seul. Elle n’aimait pas l’ambivalence de Kevin qui était à la limite de l’hypocrisie. C’est le personnage qui, pour moi, résume au mieux la nature humaine. Ses qualités comme la bienveillance, sa capacité à écouter et à comprendre ne ressortent que quand il est avec Chiron parce qu’ils ont établi une connexion inexplicable, qu’ils ne questionnent pas et surtout qu’ils ne jugent pas. Sa lâcheté, dont il est conscient, en fait le mec ordinaire qui connaît les codes de la société, s’en sert si besoin est, mais ne cherche pas à aller contre. Il ne se torture pas. Ou en tout cas, ce qu’on voit de son personnage ne permet pas de dire qu’il refoule son homosexualité voire sa bisexualité. D’ailleurs, j’ai apprécié que Kevin ne donne jamais l’impression de se servir de Chiron pour assouvir un désir qui serait refoulé. Peut-être que l’histoire ne lui en donne pas le temps parce que leur amitié prend un tour dramatique en un éclair. Quoi qu’il en soit, leur connexion au stade de l’enfance et de l’âge adulte apparaît toujours sans interférence extérieure, sans qu’ils soient obligés de définir leur relation. La force de la séquence finale où Chiron et Kevin sont adultes est que le spectateur voit le lien se (re)créer entre eux exactement au même rythme que les deux personnages vivent ces moments dont la douceur repose sur la banalité de leurs actions. Il n’y a ni plus ni moins que ce qu’on voit. Et dans cet instant où ils sont seuls, face à face, ils sont juste deux être humains qui se trouvent.
Blackness
Ce film représente une vision non-mainstream de la blackness, une blackness que les médias nous refusent mais, nous, nous savons qu’elle existe. Ici, blackness rime avec tendresse, virilité rime avec fragilité. Je pourrais vous parler de la pression, le besoin que les hommes ont de renvoyer l’image du “Black man”. Je pourrais vous parler de la mise en scène de la descente aux enfers de Paula (Naomie Harris), la mère de Chiron. Je pourrais vous parler de la mise en scène délicate de la pauvreté, du fait que l’homophobie ici ne se joue pas du point de vue des adultes mais bien de celui des enfants, ce qui évite de la relier à une mentalité communautaire. Beaucoup en parlent déjà, et mieux que moi, donc j’aimerais juste souligner l’aspect afro-caribéen de la blackness dans Moonlight.
L’oeuvre originale dont le film est adaptée s’appelle In Moonlight Black Boys Look Blue. Il me semble que cette métaphore de la “peau si noire qu’elle est bleue” apparaît dans toutes les cultures afro-descendantes. En tout cas, dans les Caraïbes, c’est sûr. Pourquoi ? Je n’en ai aucune idée, mais c’est le genre d’images qui continuent de circuler, peu importe la barrière de la langue. Quand j’étais enfant, je ne comprenais pas l’expression “il est tellement noir qu’il est bleu” (en créole, bien sûr, mais comme je vous ai dit, je ne parle pas créole). Instinctivement, je savais que cette réflexion était à prendre dans un sens négatif, mais je ne comprenais pas pourquoi les adultes utilisaient cette expression pour décrire un homme (je pense ne l’avoir jamais entendue pour une femme). Avec Moonlight , j’ai entendu pour la première fois cette métaphore dans un sens dénué de jugement de valeur. Pour une fois, j’ai entendu cette métaphore comme un hommage à la beauté de la peau noire. Cela est d’autant plus symbolique que Juan (Mahershala Ali) n’est pas Afroaméricain mais un Afrocaribéen de Cuba. Je ne sais pas jusqu’où les créateurs ont poussé leur réflexion sur l’identité de son personnage, mais l’anecdote sur le clair de lune combinée à l’image finale de Chiron (Alex Hibbert)… “Nous sommes partout” et chacun peut inclure ce qu’il souhaite dans ce “nous”, moi j’y vois le nous caribéen au même rang que les autres “nous” dans la diversité cachée derrière le terme “blackness”.
Avis personnel. Je pense que la traduction française est bien faite, mais il y a des ratés sur des formulations qui empêchent de prendre toute la dimension du discours des personnages. Le scénario montre le détail porté à la mise en scène. L’avant-dernière scène du film me paraît plus juste que la version d’origine, mais les sentiments sont toujours aussi forts. Film intemporel. Film universel. C’est ça, Moonlight.
5 responses to “[Review] Moonlight ou un clair de lune éblouissant”
J’ai finalement regardé ce film hier soir. Je ne suis pas cinéphile mais ces temps-ci j’essaie de regarder les films sur la diaspora noire.
Ce que j’en pense… tout comme toi, la cinématographie est superbe. Le changement de musique est intéressant aussi, on passe du classique au hip hop. Je l’ai regardé en anglais donc je n’ai aucune idée du doublage français.
Quant à l’histoire, j’ai bien aimé, à la fois ordinaire et touchant, fort en émotions. Faudrait que je lise le bouquin maintenant 🙂 Les acteurs étaient supers dans leur rôles. Si j’ai bien compris, sa mère est en centre de désintox ou maison de retraite à la fin?
La “descente aux enfers” de la mère m’a fait penser à un livre américain que j’avais lu il y a longtemps sur la toxicomanie dans une communauté noire dans les années 70. J’ai pu imaginer ce que la mère vivait donc. Par contre aucune info sur le père de son fils… les mères célibataires (noires) peut-être encore montrées du doigt comme étant les seules fautives mais je ne l’ai pas vraiment ressenti de cette façon ici donc ça va.
Ah les noirs qui sont bleus au clair de lune… ouais, je ne comprenais pas non plus, j’ai entendu une ado noire dire cela avant, dans le sens où elle deviendrait bleue si elle bronzait trop… bof, pas d’accord, juste une autre nuance de marron foncé ^^
Il n’y avait que des acteurs noirs (YAY pour Janelle Monae ^^), ou presque, dans le film (ce qui était positif car on voir les noirs ayant plein de rôles/personnalités différents) et ça m’a fait penser que ce serait impossible pour un film français. Je serais curieuse de lire des commentaires de personnes blanches disant qu’elles ont pu “s’identifier”. Un film pour les noirs, oui, mais pas que, c’est intéressant pour tous, assez universel.
Merci pour la review ! Et contente de revenir ici 🙂 Je procrastinais car je ne connaissais pas les films dont tu parlais donc je ne pouvais pas commenter.
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helloooooooooooo 🙂 je me demandais ce que tu devenais! Je ne crois pas que la pièce de théâtre original soit publiée donc accessible. Mais peut-être qu’ils vont l’éditer, vu le succès du film. Oui la maman est en centre de désintox.
Je n’ai pas cherché à lire des critiques françaises. Deux que j’ai vu circulé sur Twitter évoquent le fait qu’il n’y a pas un seul Blanc…. * tousse * On est d’accord que le film est universel… Mais qu’un film français comme ça soit produit et qu’il soit soutenu… on est là, on attend. on est prêts.
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Hey! C’est réciproque 🙂 Je vais faire un tour sur ton autre blog d’ailleurs. Ahh OK elle n’a pas été éditée!
Je vois, ça commence mal vu ces 2 critiques… en effet, je suis sûre qu’il y a des réalisateurs en herbe ou indé qui en rêveraient, sans compter le premier public visé ^^
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[…] de TiMalo. Ecrit entièrement en créole. J’ai adorééééé. C’est aussi le mois où Moonlight est entré dans ma vie. J’ai trouvé ce film magnifique et il m’a inspirée tout au long […]
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[…] rhum que dans les mises en situation avec sa fille. En revanche, j’avais été fascinée par la profondeur du personnage de Juan (Mahershala ♥♥) dans Moonlight. Avec Rafiki, nous avons droit à une belle illustration de l’amour d’un père et […]
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