Je ne comptais pas faire de review spécifique pour Underground parce que RL is tearing me apart, mais ce feuilleton a un regard tellement contemporain sur l’esclavage du XIXe siècle que je n’ai point résisté. Spoiler.
Entre le thriller et le genre historique en empruntant des éléments à la structure narrative du film de braquage, Underground parvient à traiter l’horreur de l’esclavage sans tomber dans le pathos. La musique joue un rôle essentiel dans cette représentation dynamique et haletante où les personnages esclaves prennent le contrôle de leur destin et de l’intrigue. Hip-hop, blues, rock, classique, la diversité des styles musicaux participe à la création du lien avec le téléspectateur du XXIe siècle. Ainsi, pour des scènes où l’ambiguïté règne sur l’émotion à ressentir, la musique donne l’indication et soutient chaque action. En toute franchise, ma seule critique sur Underground est le recours un peu trop souvent aux ellipses temporelles. Cet effet deus ex machina où une situation est créée sous les yeux des téléspectateurs mais est résolue hors écran sans que les personnages, déjà lancés dans un autre rebondissement, ne précisent comment ils ont réussi à s’en sortir…
Pour moi, la véritable force du feuilleton est dans le développement complexe des personnages. Le changement, ou en tout cas l’évolution, de paradigme où les esclaves se voient comme des Américains à part entière qui se battent pour leur liberté se lit dans l’articulation dans les rapports entre Noirs, entre Blancs et entre Noirs et Blancs.
Black love
Prenant pour point de départ le cliché de l’esclave qui rate sa tentative de fuite, Underground construit le récit d’abord du point de vue des Noirs. La naissance d’une idylle entre Noah et Rosalee ne cache pas la richesse des réseaux relationnels autour d’eux. De l’amitié solidaire entre hommes comme Noah, Henry et James, à l’amour familial comme Pearly Mae, Moses et Boo en passant par l’amour maternel d’Ernestine pour Sam, Rosalee et James, le feuilleton couvre toutes les catégories d’esclaves d’une plantation et met en lumière une solidarité, une entre-aide qui conditionne la réussite du projet. Ainsi, même le personnage de Cato, tout en restant à la périphérie de ces relations, est intégré dans le récit pour ses actions, certes aux motivations égoïstes, mais qui aident le groupe.
Le feuilleton définit chaque esclave par une personnalité différente qui peut se décrire en un mot voire deux pour ensuite créer des circonstances où chacun se trouve à commettre une action contraire à sa personnalité. Leader charismatique et loyal, Noah la joue collectif mais son sens de la justice est constamment mis à l’épreuve quand il s’agit de Cato. De même, Cato, fourbe et rusé, enchaîne les trahisons et finit en position où il finit par choisir d’aider Noah et Rosalee alors qu’il aurait pu les abandonner. Ernestine qui, vraisemblablement, était une mère aimante pour Sam se retrouve dans une position aliénante en étant la maîtresse de Tom Macon dont elle a eu deux enfants. Pour ses enfants, elle est prête à tout. La douce Rosalee commet un acte irréparable. Et Boo la choupinette manque de faire de même. Pour moi, le dilemme le plus poignant était celui de Sam. Présenté comme le garçon un peu simplet, un peu lâche, c’est au final celui qui connaît la mort la plus spectaculaire et la plus stéréotypée, comme pour rappeler au téléspectateur les éléments de cette fiction qui ont eu une réalité pour plusieurs milliers de personnes. La conquête de leur liberté s’accompagne d’une revendication de leur dignité d’être humain de façon individuelle mais aussi en tant que groupe. L’union fait la force. On survit ensemble ou on meurt tous ensemble. Noah le dit dans la bande-annonce et le redit dans le dernier épisode. Les esclaves n’ont pas demandé à venir aux Etats-Unis, mais ils y sont, ont aidé à construire le pays alors ils devraient avoir accès aux mêmes droits et libertés que tout le monde.
No white tears
Alors que la question de la représentation des esclaves noirs se pose généralement par rapport au degré de violence, à la nudité pour montrer la tragédie, c’est également un défi de représenter les Blancs sans tomber dans la caricature qui diabolise et/ou déresponsabilise ceux qui ont commis ces actes. De l’autre côté du miroir, la palette des personnages blancs fait aussi la synthèse des différents types de personnalités. Du contre-maître no-life paumé raciste aux grands propriétaires racistes des plantations comme Macon et sa femme, en passant par les chasseurs racistes d’esclaves en fuite sans oublier les Blancs qui aident la Cause, il y en a pour tous les goûts, pour toutes les cruautés et toutes les sensibilités. Evidemment, les personnages d’Elizabeth et de John sont les plus intéressants de ce point de vue de la complexité. Leur engagement dans le chemin de fer souterrain repose sur un sentiment de culpabilité mêlé à un besoin de corriger le système, quitte eux-mêmes à se mettre hors-la-loi. C’est pour cette raison que lorsqu’ils sont pris en otages par deux esclaves dont l’un force Elizabeth à fouetter John, ils ne s’apitoient pas sur le sort et ne décident pas d’abandonner. Au contraire, cela renforce leur conviction qu’ils ont fait le choix juste. Ils donnent de leur personne et incarnent les alliés dont la cause a besoin.
Underground met en scène le karma. A chaque mauvaise action qu’un personnage blanc commet, il en subit le contre-coup qui va crescendo. Le meilleur exemple est la mort de Macon qui, en laissant ses rêves politiques prendre le pas sur son obsession malsaine pour Ernestine, finit par périr des mains de celle dont il croyait être adoré. Si si, le gars vivait dans un pur délire. Il a tué le fils d’Ernestine, fait poursuivre sa fille Rosalee, mis au champ de coton son fils James, et, pour les quelques minutes de “plaisir” qu’il a avec Ernestine, il est convaincu qu’elle l’aime et VEUT faire sa vie avec lui. (Comme si elle aurait eu le choix de toute façon)
Des scènes comme celle où une Blanche fouette un Blanc (et Elizabeth dit même à John qu’il a mérité la séance de fouet), une esclave noire tuant son maître blanc ont un symbolisme fort, d’autant plus que la caméra les montre. Ce ne sont pas des scènes racontées ou suggérées. Le téléspectateur assiste à ce retour de karma du début à la fin sans qu’il ne lui soit demandé de se détourner des esclaves pour pleurer le sort des oppresseurs.
A Black and White World
Au-delà des esclaves en fuite qui doivent user de stratagèmes pour échapper aux chasseurs de prime, la présence de Sam et d’Ernestine sur la plantation permet de faire une pause dans le récit pour développer l’univers de la société esclavagiste. Certes, il y a un aperçu au début avec Rosalee qui se fait fouetter, ce qui met en lumière le fait que les esclaves de maison n’avaient pas nécessairement une vie plus douce que les esclaves des champs. D’ailleurs, le feuilleton prend bien soin de ne pas utiliser le statut de métisse de Rosalee autrement que pour lui donner un avantage dans la société blanche. Quant à son statut de fille du maître, il n’y a pas d’ostracisation particulière quand elle est avec d’autres esclaves ? Mais là où le feuilleton a vraiment touché la corde sensible, c’est en se servant des enfants pour mettre en scène la vie sur la plantation. Dans l’épisode 7 “Cradle”, le berceau, l’intrigue se focalise sur les enfants et la façon dont l’esclavage tue leur innocence. L’épisode est construit comme un cycle pour illustrer la façon dont James prend progressivement conscience de son statut d’esclave. Il comprend désormais que ni sa mère ni son grand frère ne pourront le protéger sans mettre leur propre vie en jeu. Lui non plus ne veut pas les voir souffrir. C’est à lui de trouver sa technique pour survivre, ce qu’il fait brillamment d’ailleurs. J’étais tellement dans une bulle d’émotion que lorsqu’on nous montre la façon dont il s’y prend pour avoir son compte de coton à la fin de la journée, j’ai versé une larme. De même, une scène a été consacrée à James et au fils de Macon, qui sont aussi demi-frères, pour marquer la fin de leur amitié. Le fils Macon a encore le luxe de rester en enfance, mais quand James rejette les sucreries qu’il voulait partager, le lien entre eux est définitivement brisé. Ils se voient par le prisme des adultes. Le maître blanc voit un esclave noir, l’esclave noir voit un maître blanc. Et quand le fils dénonce Sam et commet ainsi son premier acte en tant que propriétaire d’esclaves, c’était le point final.
En conclusion, même si je ne suis pas pour les séries à plus de 3 saisons, Underground m’a tellement enthousiasmée que je suis prête pour une saison 2. Don’t let me down, Show, please don’t let me down.